Jordan Harris, candidat au trophée King Clancy, veut utiliser sa plateforme pour faire le bien

MONTREAL, CANADA - OCTOBER 25: Jordan Harris #54 of the Montreal Canadiens skates with the puck during the third period of the NHL regular season game between the Montreal Canadiens and the Minnesota Wild at the Bell Centre on October 25, 2022 in Montreal, Quebec, Canada. (Photo by Vitor Munhoz/NHLI via Getty Images)
By Marc Antoine Godin et Arpon Basu
May 19, 2023

Le défenseur Jordan Harris a été désigné candidat du Canadien pour l’obtention du trophée commémoratif King Clancy, qui est décerné au « joueur qui incarne le mieux les qualités de leadership sur la glace et en dehors et qui a apporté une contribution humanitaire remarquable à sa communauté ».

Parmi la liste des 32 candidats – il y en a un par équipe de la LNH – Harris était la seule recrue. Tout au long de la saison, Harris a montré sa capacité, sinon son empressement, à s’exprimer publiquement sur les questions de justice sociale, d’inclusion et d’équité dans le hockey, et le fait que le Tricolore l’ait choisi comme candidat pour ce trophée témoigne de la sincérité et de l’enthousiasme dont il a fait preuve en tant que jeune joueur pour être un vecteur de changement.

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Nous avons invité Harris  dans le cadre de notre balado Le Support Athlétique pour parler davantage de ces questions, car nous avons très peu d’occasions de le faire durant la saison de hockey. Sa nomination pour le King Clancy semblait être une bonne occasion d’avoir ce genre de conversation avec lui.

Les questions et les réponses ont été éditées pour des raisons de longueur et de clarté, et seuls certains extraits de notre long entretien ont été retranscrits ici. Pour écouter l’intégralité de l’entrevue, cliquez sur le widget ci-dessous, ou bien consultez la section Podcast de notre application ou de notre site web.

Tu viens de recevoir une nomination pour le trophée King Clancy et, sans avoir vraiment cherché, je ne me souviens pas de la dernière fois que le candidat du Canadien pour le King Clancy était une recrue. Ça doit être une première. Alors félicitations pour ça. Qu’est-ce que ça signifie pour toi d’être en nomination pour cet honneur-là?

Ça veut dire beaucoup, honnêtement, parce qu’en grandissant, j’ai toujours voulu être plus qu’un simple joueur de hockey. C’était d’être un bon ami, un bon membre de la famille, c’était d’être bon à l’école et de vraiment prendre ses études au sérieux. Ça a toujours été comme ça dans notre famille, être juste un athlète n’était pas suffisant. Il faut toujours t’appliquer à être une bonne personne. Le trophée King Clancy, j’ai été un peu surpris parce que je ne m’attendais pas vraiment à ce que mon implication communautaire mène à quoi que ce soit cette année. Je l’ai fait parce que ça correspond à mes valeurs en tant que personne et à ce que je veux faire personnellement. C’est donc un grand honneur d’être mis en nomination et certains de mes amis conviennent que c’est un peu surprenant et assez cool de voir une recrue, un gars de première année, faire ce genre de travail communautaire et être mis en nomination. Tu regardes les noms sur la liste, tu vois (Patrice) Bergeron, tu vois tous les gars qui s’impliquent depuis si longtemps… juste de voir mon nom à côté d’eux est vraiment, vraiment cool et un peu surprenant.

Je pense que le Canadien était vraiment enthousiaste par l’intérêt que tu as manifesté et ta motivation à t’impliquer dans les enjeux d’inclusion parce que, corrige-moi si je me trompe, mais tu sembles être très à l’aise de parler de ces sujets-là. Et c’est quelque chose que l’organisation du Canadien de Montréal n’a pas vu très souvent. Tu as fait des capsules vidéo, tu as rencontré des jeunes des Premières Nations en milieu urbain, et je me souviens que tu as parlé à l’occasion de diverses soirées thématiques qui ont eu lieu tout au long de la saison. Donc, quand tu dis que tu ne te considères pas juste comme un joueur de hockey, c’est vraiment ce que ça traduit.

Oui, certainement. Je pense qu’on doit quelque chose à ces communautés-là. J’ai vu cette année à quel point je bénéficie d’une plus grosse plateforme pour exprimer mes opinions et pour parler, pour dire les choses qui me semblent être les bonnes choses à dire. Donc c’est vraiment intéressant de sentir que ça se répercute dans la communauté quand tu prends la parole ou quand, comme tu l’as mentionné, tu vas passer une journée avec des jeunes des Premières Nations, ou que tu passes du temps avec des enfants comme on l’a fait pour le Mois de l’histoire des Noirs. C’est vraiment cool de voir que ces gestes-là prennent du sens; tu les vois se répandre un peu partout au Québec ou au Canada sans qu’on sache vraiment quel impact ça pourrait avoir. Mais peu importe à quel point ça aide en bout de la ligne, je pense que c’est fantastique.

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Tu as été assez éloquent en parlant des obstacles qui existent dans la pratique du hockey. Évidemment, le coût est élevé. Mais je pense aussi que culturellement, ça peut être intimidant pour une personne qui ne ressemble pas à tous les autres d’entrer dans ce milieu-là. Ça change, je pense que ça s’améliore, mais il y a encore du chemin à faire. Mais toi, à quoi a ressemblé ton expérience dans le hockey mineur? As-tu fait face toi-même à l’un de ces obstacles ou est-ce que ç’a été relativement facile ?

Oui, ç’a été relativement facile, je dirais. Enfant, tu fais juste jouer au hockey, tu es avec tes copains, tu fais juste survoler la glace. Mon père a toujours été l’entraîneur-adjoint de notre équipe, il a toujours dirigé la défense… Mais en grandissant, j’ai réalisé l’importance d’avoir un père noir derrière le banc en tout temps, ou d’être de race mixte et d’entendre des enfants de couleur ou issus des minorités raconter différentes histoires sur la façon dont ils ont grandi en jouant au hockey, et peut-être certains noms par lesquels on les a appelés. Tu finis par en apprendre plus à ce sujet. Et ensuite j’ai eu la chance de participer à différents événements caritatifs. J’ai joué dans un tournoi à l’Université Northeastern où tous les joueurs étaient Noirs ou issus des minorités… C’était tellement cool d’être avec les enfants et d’entendre leurs histoires et certains des obstacles auxquels ils étaient confrontés. Heureusement, je n’ai jamais vraiment fait face à des réactions défavorables, mais en tant que jeune enfant, tu fais juste jouer au hockey et c’est tout ce que tu sais. Je veux être en mesure d’aider les enfants qui grandissent aujourd’hui, leur dire « vas-y, amuse-toi et ne t’inquiète pas de quoi tu as l’air ou de ce que les autres peuvent penser de toi ». Il faut créer un environnement plus accueillant pour que ces enfants-là puissent suivre leurs passions.

Lorsqu’on sort de notre créneau en tant que journaliste sportif et qu’on commence à parler d’autres sujets, parfois les lecteurs ou les gens sur les médias sociaux nous disent « tiens-toi-en au hockey ». Comme si l’on était juste des journalistes sportifs, que c’est notre seule dimension dans la vie et qu’on n’est rien d’autre que ça. C’est un peu bouleversant des fois, mais je me demande si tu vis un peu la même chose en tant qu’athlète ? Parce que le Canadien, comme n’importe quelle équipe sportive, est en position d’être un vecteur de changement. Et les athlètes, vous avez cette plateforme où, quand vous vous exprimez, vous pouvez essayer d’être un vecteur de changement. Alors as-tu l’impression qu’en tant que joueur de hockey, en tant que modèle, tu as la responsabilité de t’exprimer et d’essayer d’être un acteur de changement, ou est-ce que tu as l’impression que parfois les gars disent « hé, est-ce que je peux être juste un athlète et qu’on ne me demande pas autre chose » ?

Oh, 100%. Je pense que ça peut être épeurant parfois de parler de certains sujets à cause de ces réactions-là, à cause de ce que les gens pourraient dire. Comme tu dis, « tiens-toi-en au hockey ». Et j’ai l’impression qu’il y a ce genre de crainte chez certaines personnes dans le sport de dire ce qu’elles pensent parce qu’elles ne veulent pas de commentaires négatifs. Et surtout avec les médias sociaux de nos jours, j’ai l’impression que tu es soit d’un côté, soit de l’autre. Ce n’est jamais tout le monde qui sera d’accord avec toi. Il y aura toujours du monde qui envoie des commentaires haineux ou quoi que ce soit. Et donc j’ai l’impression qu’il y a presque cette peur qui fait dire « je vais rester dans ma voie et je vais juste jouer au hockey et faire mon travail ».

Mais comme tu l’as dit, en étant membre de l’organisation du Canadien, et vous en tant que journalistes qui ont un tel auditoire, vous avez une énorme capacité d’apporter des changements et de vraiment avoir un impact sur les gens, d’ouvrir des yeux et de raconter votre histoire. Je pense que c’est ce qui est si formidable dans l’écriture, c’est que vous racontez une histoire. Je pense qu’en tant qu’athlète, être capable de raconter son histoire est vraiment incroyable. Et le Canadien a fait un excellent travail pour encourager ses joueurs à parler de ces choses-là et à leur donner l’occasion de le faire. Je pense que c’est très important et j’ai vraiment l’impression, du moins personnellement, que c’est une responsabilité.

Quand tu parles de profiter de cette plateforme, vous avez un vestiaire de 20 ou 23 gars, vous devez être une équipe, et tout le monde ne va pas voir les choses de la même façon. Par exemple, lors de la soirée de la Fierté du Canadien cette année, vous avez un coéquipier qui n’a pas voulu participer, et c’est correct. C’est son droit. Mais ce sont des choses que les équipes doivent gérer. Comment te sens-tu d’utiliser cette plateforme à son plein potentiel pour parler de certaines choses, tout en demeurant au sein de l’équipe, sachant qu’il y a des points de vue différents dans l’équipe ? Comment tout cela se déroule-t-il ? Est-ce que ce dont des choses dont vous parlez ?

C’est une excellente question parce que, tu sais, c’est ce qui est si formidable dans le sport. C’est qu’en fin de compte, vous avez un objectif commun et c’est de gagner et de faire de votre mieux. Et je pense qu’au fil des ans, on apprend à s’adapter à tellement de types de personnalité différents, à tellement de croyances différentes et à tellement de types de personnes différentes que lorsqu’on arrive à ce niveau-ci, 99% des mauvaises personnes ont en quelque sorte été éliminées. C’est drôle, au fur et à mesure que tu avances dans les niveaux et que tu montes de plus en plus, les pommes pourries s’éliminent en cours de route. Donc, d’un point de vue humain, tout le monde dans le vestiaire, ce sont des gars formidables. Et oui, il y aura des croyances divergentes, mais ça ne veut pas dire que je ne vais pas parler à quelqu’un s’il ne croit pas aux mêmes choses que moi, s’il a une opinion politique différente ou des prises de position différentes sur certains enjeux. Mais tant que tu es une bonne personne et que tu es un bon coéquipier et qu’en fin de compte, tu essaies d’aider le Canadien à gagner, c’est tout ce qui importe vraiment dans le vestiaire.

Mais est-ce qu’il faut que tu tiennes compte de ça avant de décider de prendre position sur quelque chose, avant de décider de sortir de ta réserve, comme on le mentionnait plus tôt, et de ne plus seulement être un joueur de hockey et un modèle, mais de t’exprimer avec des opinions bien arrêtées ? Est-ce que tu dois garder ça à l’esprit ou est-ce le moment pour toi de t’exprimer et d’être un individu sans t’inquiéter de tout ça?

Oui, je pense que c’est un bon moment pour être un individu et être juste fidèle à soi-même, honnêtement. Et encore une fois, tant que tu es un bon coéquipier, et que tu ne vas pas dénigrer tes coéquipiers ou blâmer qui que ce soit d’autre, j’ai l’impression que tout le monde est vraiment très bon pour te permettre d’être toi-même. Tout le monde a des personnalités originales, des choses différentes, mais en parlant dans les médias au sujet de différents événements, j’ai l’impression que c’est le moment de montrer son individualité et sa façon de voir les choses.

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Je veux revenir à ce que tu as dit à propos de rendre le hockey plus accessible. As-tu réfléchi à ce qui pourrait être fait en ce sens-là ? Tout le monde voudrait que le hockey soit moins coûteux, mais au niveau élite ça devient de plus en plus cher. As-tu pensé à des moyens de combler cet écart-là, de faire en sorte qu’un plus grand nombre de jeunes puissent pratiquer ce sport ?

Quand on y pense, c’est absolument fou. Certains gars, s’ils retournent chez eux dans la région de Toronto, ils disent que leur temps de glace pour louer une patinoire coûte quelque chose comme 400$. Les gars paient 50$ pour une séance de patinage; c’est tout simplement absurde. Je n’y ai pas trop réfléchi, je ne me suis pas assis à vraiment penser à ce qu’on pourrait faire. C’est quelque chose sur lequel on va se pencher au cours des prochaines années, peut-être en lançant une fondation quelconque ou en commençant du travail communautaire que tu peux faire chaque été en retournant chez toi et en t’impliquant là-dedans. C’est une excellente question parce que, par où est-ce qu’on commence ?

Ça a l’air d’un casse-tête impossible.

Ouais, et moi je n’ai pas grandi dans une famille riche. Mais juste le kilométrage qui a été mis sur la voiture, sur l’essence, et le simple fait d’aller à différents tournois et payer des chambres d’hôtel – parce que maintenant, dans le hockey mineur, le voyage est un élément tellement important. Tu joues dans des endroits où ils amènent tout le talent à Chicago un week-end et à Toronto une autre fin de semaine.

Et même par rapport à la flexibilité du travail, mes parents travaillent tous les deux à temps plein, ils continuent de travailler à temps plein, et Dieu merci ils ont eu un peu de flexibilité dans leur emploi pour parfois finir plus tôt. Mon père pouvait finir tôt pour venir coacher, ma mère pouvait nous reconduire les fins de semaine et ainsi de suite. Je ne sais toujours pas comment ils ont fait ça avec deux garçons comme mon frère et moi. C’est incroyable qu’ils aient réussi.

Jordan Harris. (Éric Bolté / USA Today)

C’est drôle parce qu’il y a environ 15 ans, il y avait encore un stéréotype du joueur de hockey, souvent un gars de l’Ouest canadien qui avait grandi sur la ferme, qui avait vu ses parents travailler toute la journée et qui avait développé son éthique de travail à partir de celle de ses parents, etc. Sauf qu’il y a eu un changement. Maintenant, avec le prix qu’il en coûte pour un jeune de jouer au hockey, de s’inscrire dans des académies, dans du AAA d’été ou d’autres choses du genre, et avec tous ces tournois qui demandent tellement d’argent, je me demande si avec le temps, le niveau de richesse n’a pas changé l’ADN de ce qu’est un joueur de hockey.

Oui, c’est un excellent point. Je veux dire, regarde comment le hockey a changé. Comme tu l’as dit, à l’époque, il y avait probablement plus de cols bleus qui avaient juste une solide éthique de travail. Tu vois des photos de Rod Brind’Amour et de ces gars-là, avec leurs énormes bras, c’est fou. On dirait qu’il a travaillé dans une ferme pendant 20 ans. Comment ces gars-là arrivent même à patiner, on dirait qu’ils sont sur le point d’exploser! Et puis tu regardes les joueurs de hockey aujourd’hui, certains sont de petite taille et tu te demandes, « est-ce que ce gars-là est un joueur de hockey de la LNH ? » Mais ensuite, ils sautent sur la glace et ils volent, et ils ont des mains rapides.

Je suis tout à fait d’accord, c’est l’argent, c’est l’investissement dans les enfants et dans l’entraînement des habiletés.

Et c’est un autre de ces obstacles, en fin de compte. Si tu n’as pas les moyens de te payer des entraîneurs d’habiletés, des entraîneurs pour ton patin durant l’été, tu vas finir par prendre du retard.

Tu prends beaucoup de retard. Mais c’est un bon aspect des médias sociaux, honnêtement, parce que moi je n’ai jamais vraiment eu ces entraîneurs de perfectionnement. Mais j’ai pu trouver des exercices en ligne et travailler par moi-même dans le sous-sol ou sur des patins à roues alignées. Je voyais des exercices en ligne, je trouvais des trucs assez faciles à installer en mettant le filet dans la cour. On s’était fabriqué un filet de fortune et on s’était fait une petite surface derrière le filet, de sorte que si une rondelle touchait la barre transversale, ça n’allait pas casser une fenêtre de la maison. Si tu es vraiment motivé, tu peux arriver à t’arranger. Mais les obstacles ne cessent d’augmenter.

Tu parlais tantôt de peut-être créer une fondation. Est-ce que tu t’es donné des objectifs par rapport à ce que tu voudrais accomplir en dehors de la glace ? De la philanthropie, des trucs humanitaires, est-ce qu’il y a certains domaines que tu voudrais aborder durant ta carrière ?

Oui, bien sûr. Je ne dirais pas vraiment que ce sont des objectifs déterminés pour le moment, mais je pense que j’aimerais beaucoup m’attaquer davantage à l’accessibilité au hockey, comme on en a parlé. Je pense que c’est un excellent enjeu, surtout pour les personnes de couleur ou les minorités. Je pense que ce serait formidable de me lancer là-dedans. Il faut que je retourne à Montréal pour obtenir le feu vert et recommencer à patiner, je suis encore en réadaptation en ce moment. Mais ma copine et moi on va aller parler à la Fondation des Canadiens pour l’enfance. Nous asseoir avec eux et établir ce qui est important pour nous et ce sur quoi on aimerait travailler au cours de la prochaine année. Ce serait génial de faire un remue-méninges et d’avoir un cadre plus établi pour l’année par rapport à ce qu’on veut faire en dehors de la glace. Parce que c’est très important pour moi et très important pour elle aussi. Et ça va nous permettre de brosser un tableau plus clair.

C’est super, Jordan. Merci beaucoup de ton temps.

Merci les gars, je l’apprécie.

(Photo: Vitor Munhoz/NHLI via Getty Images)

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